Le Modèle noir

Exposition Le Modèle noir. De Géricault à Matisse

Au Musée d’Orsay du 26 mars au 22 juillet 2019

Quel regard a porté (et porte encore) la société française sur les noirs ? De quelle manière l’art en a t-il rendu compte ? Et quelle place ont occupé des personnalités noires dans le monde de l’art de la fin du XVIIIème siècle aux années 1930 ?

Ces questions sont abordées de front dans l’exposition événement « Le modèle noir. De Géricault à Matisse » en ce moment au Musée d’Orsay.

Les jalons chronologiques de l’exposition sont porteuses de sens : 1794, première abolition de l’esclavage pendant la Révolution Française ; années 1930, l’émergence du concept de négritude sous l’impulsion de grands penseurs comme Aimé Césaire ou Léon-Gontran Damas.

Car l’histoire des regards portés sur la personne noire est indissociable d’une histoire tragique, celle de l’esclavage, de la domination des corps, de la déshumanisation que rappellent de nombreuses œuvres exposées. Une des plus frappantes est le tableau de Verdier « Le châtiment des quatre piquets » qui montrent l’horreur de la banalité des sévices infligés aux esclaves noirs dans les colonies.

Ces longs siècles de domination occidentale, de traites négrières, d’esclavage ont durablement installé dans les esprits l’idée d’une supériorité blanche. Et la seconde abolition de 1848, même si elle est un événement historique majeur, ne va pas changer les choses dans ce domaine. Le célèbre tableau « L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises » de Biard révèle cette ambiguïté. Œuvre de propagande, il montre des esclaves libérés de leurs chaînes mais toujours soumis à la domination des colons français.

Cette histoire de domination se retrouve aussi dans le titre donné aux œuvres. Un exemple frappant est donné avec le tableau « Portrait de Madeleine » de Marie-Guillemine Benoist qui accueille les visiteurs dès le début de l’exposition. Ce tableau a d’abord été intitulé au moment de sa création en 1800 « Portrait d’une négresse », avant d’être rebaptisé une première fois « Portrait d’une femme noire » en 2000. Et c’est à l’occasion de l’exposition « Le modèle noir » que le tableau obtient son titre définitif. Ce nouveau titre redonne de l’humanité à la personne représentée, elle n’est plus enfermée dans sa couleur de peau. Imaginerait-on un tableau s’intitulant « Portrait d’une femme blanche » ?

De grandes figures, connues ou méconnues, et dans des domaines très variés, jalonnent l’histoire de ce combat pour l’égalité : Toussaint Louverture, le modèle Joseph (représenté sur le célèbre tableau de Géricault « Le radeau de la Méduse »), Alexandre Dumas, Ira Alridge ou plus tard Joséphine Baker. Tout au long du XIXème siècle, dans une société où les théories racistes sont couramment défendues, de nombreux artistes utilisent des modèle noirs : Gérôme, Manet, Nadar plus tard Matisse. L’un des mérites de l’exposition est de montrer quelle place occupaient les personnes noires dans la société française de l’époque. Par exemple, aux Beaux-Arts de Paris, une quarantaine de modèles étaient noirs.

Au XXème siècle, le mouvement de la négritude est le début d’une prise de conscience de la « décolonisation des esprits » qu’il faut entreprendre et dont cette exposition se fait l’écho puissant. En 2019, cette décolonisation est loin d’être achevée, et de ce point de vue, l’exposition a clairement une visée politique salutaire.